Plongez dans la formule gagnante IRC

David Anastasi, Elusive 2

La famille Podestá est propriétaire du BENETEAU First 45 Elusive 2 depuis 2009. En 2019 et 2020, elle a remporté la 40e et la 41e édition de la Rolex Middle Sea Race en temps compensé. Nous nous sommes entretenus avec David Anastasi, directeur général de Mediterranean Yacht Sales, distributeur Beneteau à Malte et l'un des membres clés de l'équipe, pour découvrir les secrets de sa réussite. 

David, les résultats que vous avez obtenus avec le BENETEAU First 45 Elusive 2 sont remarquables. Avant d'entrer dans les détails plus techniques, pourriez-vous vous présenter brièvement ?

Tout d'abord, merci beaucoup de me donner la parole. Elusive 2 appartient à ma partenaire Maya et à ses frères, et j'ai commencé à naviguer avec eux en 2016. Ils m'ont accepté dans l'équipe et nous sommes donc quatre à mettre nos idées en commun et à former une équipe solide. 

Nous avons tous les quatre une grande expérience de la voile, notamment de la Middle Sea Race. Nous cumulons à nous quatre presque 80 participations !

Incroyable. C'est vraiment beaucoup de connaissances et d'expériences réunies sur un même voilier. Avant d'entrer dans le vif du sujet, pouvez-vous nous détailler vos tâches et vos responsabilités au sein de l'équipe ?

J’ai une bonne expérience de la navigation offshore et je barre. J’ai commencé sur un J125 et un J133, ainsi que sur le Elusive I. Je suis architecte de profession, et la navigation s’apparente, selon moi, à l'architecture. C'est un rôle technique, qui requiert parfois un peu plus de théorie ou des calculs. 

Mais en plus de la navigation et des chiffres, il y a aussi l'analyse des performances du bateau : comment améliorer ses performances, comment faire en sorte que le bateau navigue plus vite. Cela se fait de manière très technique, en enregistrant vos performances. Nous utilisons le logiciel de course Expedition à bord. Et une grande partie du rôle du barreur consiste à regarder les chiffres après la course et à examiner les performances du bateau en fonction de la voile.

Nous commençons à comprendre d'où viennent vos résultats exceptionnels… Comment fonctionne la dynamique de l'équipe

L'expérience est cruciale. L'expérience et le travail acharné. Vous devez travailler pour obtenir des résultats.

Et ce que l'expérience nous a appris, ce sont les domaines sur lesquels il faut se concentrer afin d'investir là où la différence se fait vraiment.

Vous considérez-vous comme un professionnel ? Et comment classeriez-vous les courses sur le Elusive 2 ?

Christoph est boat captain d’un Class J et a fait beaucoup de navigation professionnelle sur des super yachts, il est donc le seul professionnel de notre équipe. Mais ce qui fait d'un skipper un vrai professionnel est un sujet controversé. Nous avons tous beaucoup d'expérience. Et je pense que l'expérience est ce qui nous aide à obtenir des résultats. Ce n'est pas nouveau pour nous, et nous faisons beaucoup d'efforts. L'avantage que nous pensons avoir sur certains navigateurs professionnels, c'est le fait que nous prenons plaisir à naviguer ensemble. Donc c'est peut-être un peu plus que professionnel. Nous pourrions effectivement y mettre plus de cœur que les navigateurs professionnels.

Il est temps de passer au sujet principal de l'interview. Comment avez-vous trouvé la formule gagnante pour le BENETEAU First 45 Elusive 2 qui explique les victoires consécutives en 2019 et 2020 ? Pouvez-vous nous faire remonter le temps jusqu'aux éditions 2019 et de 2020 de la Middle Sea Race ?

L’IRC, pour les néophytes, est une jauge relativement simple. Il y a donc un coefficient correcteur unique qui est appliqué, quelles que soient les conditions. Et c'est une formule secrète, c’est à dire que seuls les bureaux de calcul connaissent. Il y a un nombre limité de certificats d'essai que vous pouvez faire chaque année. Et l'esprit de la règle consiste à mettre tous les bateaux sur un pied d'égalité.

Cet objectif est tout à fait impossible car très difficile... regardons les choses en face : il est impossible de mettre un35 pieds et un Maxi de 100 pieds sur un pied d'égalité. Mais étonnamment, elle fait un très bon travail, et est très bien acceptée. Évidemment, certaines conditions favorisent certains bateaux, et d'autres conditions favorisent d'autres bateaux. Ainsi, lorsque vous régatez au sein d'une flotte aussi diversifiée, vous devez bien définir vos objectifs en amont.

Notre objectif au début de la course était de gagner dans notre catégorie et de battre les bateaux aux caractéristiques similaires, même s'ils étaient dans des catégories différentes. Et je pense que c'est un objectif réalisable.

Pour être premier au classement général, il faut d'abord gagner dans sa catégorie, mais il faut aussi un coup de chance supplémentaire. Les conditions météo peuvent favoriser votre type de bateau. Pour citer un exemple idiot ou très évident : si la course commence avec des vents très forts et que ces vents s'épuisent après trois jours, les gros bateaux vont faire le tour du parcours à une bonne vitesse moyenne alors qu'après leur arrivée, si le vent tombe, les autres petits bateaux devront faire le tour du parcours dans le vent, ce qui s'est produit cette année. Cette année, notre position dans le classement global était de... quelque chose comme 28e. Je ne me souviens même pas de la position tant elle était mauvaise. Mais dans la catégorie, on était 2e. Et nous en étions fiers. Nous avons fait une course difficile. On a plutôt bien navigué, je crois. Et nous voulions nous améliorer, mais il n'y avait aucune chance, avec ces conditions, de pouvoir entrer dans le classement général.

Mais en 2019 et 2020, nous avons eu la chance que les conditions conviennent à notre type de bateau. La concurrence était forte, il y avait beaucoup de compétition dans notre catégorie et entre nos types de bateaux. Nous sommes donc arrivés en tête de notre catégorie, et la course a favorisé notre type de bateau, et c'est ainsi que nous avons pu l’emporter au classement général.

Comment avez-vous abordé l'optimisation du rating  IRC, et quelle a été le rating IRC avec laquelle vous avez commencé en 2016 ?

En 2016, le bateau était équipé d'un bout-dehors très court, de spinnakers au capelage et d'un mât en aluminium. Notre rating à l'époque était de 1,107. Aujourd'hui, il est de 1,112.

Il y a deux courants de pensée ou deux techniques, je suppose, pour optimiser le rating IRC d'un bateau. Vous pouvez essayer de gagner des millièmes en réduisant la surface des voiles, en réduisant éventuellement la longueur du bout-dehors, ou vous pouvez essayer de rendre le bateau plus rapide et de voir quel est le résultat sur le rating.

Notre stratégie a toujours consisté à rendre le bateau plus rapide. Avec notre First, dès le départ, nous voulions savoir quelle était le point fort du bateau. Sans aucun doute la vitesse au près. Il a une quille fine et profonde. Et sa performance au près est toujours très bonne. Nous souffrions plus au portant.. 

Donc nous avons cherché à corriger ce point faible en passant les spis en tête et en mettant un bout-dehors de 1,5 m, ce qui est à peu près la même taille que celui du nouveau BENETEAU First 44. 

Ce premier changement nous a montré que nous pouvions désormais garder le rythme par rapport à nos adversaires. 

 

Puis nous avons cherché à optimiser notre point fort en changeant de mât pour être encore plus rapide au près. Nous avons donc mis un mât carbone qui n’est pas pénalisé pas l’IRC. Cela a transformé les performances du bateau aussi bien au près qu’au portant : gain de poids, moment de redressement accru, moins de tangage.

Donc vous vous êtes vraiment concentrés sur la performance du bateau plutôt que sur la réduction du rating.

Oui et nous avons aussi beaucoup réduit les poids Et c’est là que la règle IRC devient un peu compliquée.  car le rating dépend du poids du bateau en plus de la surface des voiles et de tous les autres éléments. Donc si vous réduisez le poids, le rating augmentera mais ne vous pénalisera pas nécessairement autant. Ainsi, le poids que nous avons gagné grâce au mât en carbone a légèrement augmenté notre rating , mais nous avons estimé que le gain de performance était meilleur. 

Nous avons aussi ajouté un dessalinisateur, qui permet un gain de poids conséquent car cela permet de ne pas transporter d’eau pour 10 équipiers pendant une semaine sur la Middle Sea Race. 

Ensuite comme le diable est dans les détails nous avons amélioré plein de petits points qui au bout du compte contribuent également à la performance du bateau. Par exemple nous avons déplacé les chandeliers à l’extérieur du rail de fargue pour améliorer la position au rappel et décaler le poids des équipiers vers l’extérieur. 

Y a-t-il eu des changements à l'intérieur ? Nous savons que le First 45 est doté d'un intérieur en bois relativement riche mais qui est lourd.  Avez-vous apporté des modifications à cet endroit, dans la cuisine ? Il y a beaucoup de choses que vous pourriez enlever.

Oui mais l’IRC est conçue pour que les bateaux gardent leur équipement original. Si par exemple vous enlevez votre four, vous êtes pénalisés.

Nous avons donc essayé d'enlever du poids sans modifier l'intérieur standard.

Nous avons ajouté des banettes dans les cabines arrière et le carré pour que 4 personnes puissent dormir au rappel, l’équipage contribue ainsi à la performance tout en se reposant efficacement.

Et les voiles ? Elles sont le moteur de tous les voiliers.

Les voiles sont un facteur crucial. 

Une fois que vous avez un bon bateau avec un bon mât et une bonne équipe, vous devez avoir de bonnes voiles. Vous ne gagnerez pas une course sans de bonnes voiles.  Nous avons choisi de travailler avec North Sails et avons passé beaucoup de temps à affiner notre garde-robe. Nous avons un code zéro et trois spis A1, A2 et A4. Le A1 pour le petit temps et qui est efficace au reaching aussi, le A2 qui est notre spi polyvalent jusque 18 nœuds et le A 4 qui est notre spi de brise. Et bien sûr le code zéro indispensable en course au large.

Nos voiles plates sont en 3Di, la meilleure technologie du marché qui allie gain de poids et tenue de forme sans égal. De très nombreux bateaux de course au large font appel au 3Di.

Puisque vous êtes navigateur, je dois vous poser une question sur les instruments. Quels instruments utilisez-vous et dans quelle mesure et comment vous aident-ils à gagner la course ?

Nous sommes passés à un système B&G H5000 complet, je crois, en 2016. Et nous utilisons le logiciel Expedition pour la navigation et enregistrer nos données, analyser nos performance et faire les bons choix.

Y a-t-il d'autres petits détails que vous avez changés que vous pourriez partager avec nous ? 

Oui optimiser le gréement courant est également un gain de performance. En passant de 12 à 10 mm avec des drisses de meilleures qualité et dégainées nous avons gagné environ 20 kg. Nous sommes parfois à la limite car je crois que nous avons même du 8 mm maintenant sur quelques drisses mais ça passe. Cela réduit aussi les poids dans les hauts et des cordages de meilleure qualité facilitent aussi les réglages précis. 

Par quoi les autres propriétaires peuvent-ils commencer ? 

Les principaux changements dont nous avons discuté, c'est-à-dire le bout-dehors, le mât, le dessalinisateur et les banettes, nous ont permis d'obtenir un bon ensemble. C'était les aspects les plus faciles à améliorer, là où nous avons obtenu les plus gros gains.

Après nous essayons aussi de progresser en tant d’équipage sur les manœuvres, la prise de décision… C’est un ensemble de petits plus.

Comment a évolué votre notation IRC après tous vos changements ?

En réalité, notre rating a augmenté. En 2016, nous étions à 1,107, contre 1,112 lors de la dernière course que nous avons faite. Cependant, il faut aussi la relativiser car l'IRC, comme nous l'avons dit, est une règle secrète qui évolue. Autrement dit, d'une année à l'autre, le rating peut changer sans que vous ne fassiez aucun changement. Vous devez toujours la comparer à celle de vos concurrents. 

Mais, en général, notre approche consistait à rendre le bateau plus rapide en acceptant l’augmentation du rating.

Que recommanderiez-vous à d'autres propriétaires qui envisageraient de participer avec l'IRC et d'optimiser leur bateau ? Par où commencer ? 

Tout d'abord, regardez les autres bateaux ; regardez ce que font les bateaux gagnants. S'ils gagnent, c’est qu’ils doivent faire quelque chose de mieux que les autres, alors essayez d'identifier ce que c'est. Regardez leurs certificats regardez peut-être leurs changements d'une année à l'autre, et regardez d'autres modèles. Essayez de voir quels sont leurs points forts et leurs points faibles, puis faites de même avec votre bateau. Le processus que j'ai décrit précédemment vise à éliminer les points faibles et à renforcer les points forts. 

Enfin, passons à la dernière génération de bateaux First. Vous êtes maintenant distributeur Beneteau et, en 2022, nous avons eu deux nouveaux modèles : le First 36 et le First 44. Quand vous regardez ces deux bateaux, à quoi pensez-vous immédiatement ? 

Les deux nouvelles offres de Beneteau sont selon moi dans la lignée des First et de notre First 45, je suis impatient de les essayer. Et le First 44 me rappelle beaucoup la façon dont nous avons configuré le First 45. Il a un bout-dehors qui est à peu près de la même longueur, des spinnakers en tête et une grande quille. Il a deux safrans car il est plus large et plus puissant. Je trouve l’idée des ballasts intéressante, il faut voir quel serait l’impact en IRC mais en tout cas c’est une option parfaite pour l’équipage réduit et les croisières rapides. 

 

Si je devais faire une croisière estivale en Méditerranée, je pense que j'opterais pour le First 44. 

 

Le First 36 ? Wow, il ressemble à une bête de portant, c’est génial d’avoir un bateau planant. 

 

Il a un intérieur que j'aime beaucoup. Le concept d'un bateau qui est amusant et rapide à naviguer est un bon point de départ pour un cahier des charges. Il s'agit d'une très bonne plateforme avec une disposition très logique et très bien conçue. 

Je veux dire que le 44 et le 36 ont tous deux de très bonnes dimensions de cockpit et des agencements logiques et efficaces, il y a une bonne base pour les ajuster. Si vous devez me demander lequel des deux je choisirais, je dirais les deux et, en fonction des conditions de la course, je prendrais le plus adapté. Pour une course au portant First 36 sera un concurrent très, très redoutable. Le 44 est, si je puis dire, dans l'ADN du 45. J'imagine qu'il a le même potentiel.

Je suis sûr que les deux auront beaucoup de succès.

Publié le 19.01.2023